Quels rapports de pouvoir organisent les modèles de rôles sociaux ?
Le genre est un rapport social de pouvoir comme l’explique le sociologue Eric Macé : « Dire que je suis « un homme » veut dire, très justement, que j’ai été socialisé comme un garçon — qui plus est, dans une fratrie de trois garçons ! — et que je bénéficie de fait des attributs et des privilèges de la masculinité. Ceci étant, mon approche du genre est une approche critique et féministe, avec un objectif : montrer en quoi le genre n’est pas seulement une question de différence de corps, de sexualité et d’identité mais, avant tout, un rapport social de pouvoir, qui s’exerce partout. » (« Éric Macé : « Le genre comme rapport social de pouvoir » », Entretien inédit, Ballast [en ligne], 2017).
Les rôles sociaux sont le résultat d’un long apprentissage auquel sont soumis.es les filles et les garçons lors de leur socialisation. Il s’agit de modèles qui varient selon les époques entre reproduction des stéréotypes consacrant le pouvoir masculin et dynamique d’émancipation des femmes ainsi que le montrent les historiennes Rebecca Rogers et Françoise Thébaud dans : La fabrique des filles. L’éducation des filles de Jules Ferry à la pilule paru aux éditions textuel en 2010.
Les filles doivent apprendre leur place :
• de mère et d’épouse dans la famille.
• de femme au foyer, de « fée du logis ».
• de bon sujet de la nation dans l’effort de repeuplement après-guerre.
• de bonne élève de l’ordre moral et religieux
• de couturière, d’infirmière ou d’institutrice.
Mais les filles peuvent s’émanciper progressivement grâce à l’instruction et sous l’impulsion des mouvements féministes : Madeleine Pelletier prône une éducation féministe des filles. Au tournant des années 1920, les femmes accèdent au métier de dactylographe auparavant masculin. Contre le vieux monde et le poids des stéréotypes, le mouvement social de mai 1968 et le Mouvement de libération des femmes (MLF) redéfinissent la place des femmes et consacrent leur maîtrise de la maternité : « un enfant si je veux ! ».
MAITRON-Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier, et du mouvement social- Fiche
Née le 18 mai 1874 à Paris (IIe arr.), morte le 29 décembre 1939 à l’Asile de Perray-Vaucluse à Épinay-sur-Orge (Seine-et-Oise) ; docteure en médecine, militante néo-malthusienne ; féministe et pacifiste ; franc-maçonne, socialiste puis communiste ; collaboratrice de la presse libertaire. En 1906, elle accepta de diriger le groupe féministe “La solidarité des femmes” à la suite de Caroline Kauffmann, et elle se distingua dans la bataille pour le suffrage des femmes. Au moment des élections de 1906, le groupe se manifesta : défilés en fiacres, banderoles, collage d’affiches, diffusion de tracts. Elle inventa le slogan : “La femme doit voter, elle subit les lois et paie les impôts.”
Écouter
Mathilde Wagman, Série « La Nuit des féminismes 2/2 : Voix du MLF », France Culture, 2021.
« Bibia Pavard : « Dans les années 70, le projet féministe est révolutionnaire : il vise à saper les fondements de la société capitaliste et patriarcale »
« Le MLF est né il y a un tout petit peu plus de 50 ans. Comment raconter un mouvement qui fut divers, riche et pluriel ? L’historienne Bibia Pavard, co-auteure de « Ne nous libérez pas, on s’en charge, Une histoire des féminismes de 1789 à nos jours« , ouvre cette nuit d’archives. »
« Avec Bibia Pavard Maîtresse de conférence à l’université Paris II Panthéon-Assas.
Pour nous aider à comprendre la portée historique du Mouvement de Libération des Femmes et ses résonances contemporaines, nous accueillons pour ouvrir cette nuit d’archives, Bibia Pavard, l’une des trois co-auteures de Ne nous libérez pas, on s’en charge, Une histoire des féminismes de 1789 à nos jours (La Découverte, 2020).
Les années 1970, c’est un moment où les féminismes produisent beaucoup de symboles, de revendications, avec un regard très radical. Le projet est révolutionnaire et vise vraiment à saper les fondements de la société bourgeoise, capitaliste, patriarcale, pour proposer autre chose. Cela fait la spécificité de ce moment.
Bibia Pavard raconte la naissance de ce mouvement né d’un ensemble de revendications, d’actions, de principes politiques qui se développent partout en France dans le sillage de mai 68.
En 1979, la création d’une association par Antoinette Fouque, et même le dépôt d’une marque « MLF » à l’Institut National de la Propriété Intellectuelle fut une source de conflits, et marqua en un sens la fin du mouvement. Mais au-delà des frictions finales et de la pluralité des positions et des tendances qui a toujours existé au sein du Mouvement, Bibia Pavard souligne aussi les constantes et les élémnts communs, notamment l’humour insufflé aux actions, ainsi que l’accent mis sur la réalité sociale de l’oppression : les viols, les violences, notamment.
Elle analyse ce qu’il y a de nouveau aujourd’hui dans les féminismes. On constate des continuités, des ruptures, des spécificités, notamment avec le mouvement #MeToo :
Le moment #MeToo s’inscrit dans une forme de continuité avec les années 1970, puisque ces revendications autour des violences faites aux femmes ont émergé et se sont développées dans les années 1970, puis se sont poursuivi dans les années 1980 et 1990. (…) Mais il y a par ailleurs de toute évidence un renouveau dans la communication, avec la circulation rapide permise par internet et avec ce que l’on peut appeler le « féminisme de hashtag », qui permet d’agréger des témoignages sur les réseaux sociaux. #MeToo permet ainsi de rendre visibles ces violences. C’est un effet de renouveau assez spectaculaire. »
L’organisation des sociétés selon le système de Genre
Les sociétés sont organisées autour de valeurs que les institutions défendent et transmettent, dans la famille, l’école et le travail. Les jeunes générations sont socialisées de manière à incorporer tout un ensemble de codes sociaux. En sorte que la société préexiste aux individus et s’impose à eux-elles. Le système de genre distinguant les femmes et les hommes à leur naissance les inscrit dans un ordre social déjà organisé et hiérarchisé par la séparation des sexes. La sociologue Christine Delphy a exprimé cette chronologie par la formule le genre précède le sexe.
Regarder
Les mots sont importants : abécédaire – long entretien filmé de Christine Delphy avec Sylvie Tissot.
Les rôles sociaux sont définis arbitrairement enjoignant à la classe des femmes de se soumettre à l’exploitation économique que recouvre le travail domestique, un travail gratuit au bénéfice du patriarcat.
Les femmes ont toujours travaillé. L’historienne Sylvie Schweitzer dans son histoire du travail des femmes au XIXème et XXème siècle dénonce l’amnésie systématique qui frappe comme elle le dit la mémoire collective dès lors qu’il s’agit de l’activité pourtant ininterrompue des paysannes, des infirmières, des institutrices, des commerçantes, des employées, des ouvrières, des artisanes… :
« Premère guerre mondiale, années 70 ? Ces chronologies ne résistent pas à la mise en perspective historique. En effet, on ne peut pas dire que les femmes commencent à travailler quand les polius partent au front. Si les contemporains ont beaucoup parlé des munitionnettes, qui se retrouvent en grand nombre dans les usines d’armement, dans les ateliers métallurgiques et mécaniques jusque là surtout peuplés d’ouvriers qualifiés, les femmes n’arrivent pas alors dans l’industrie. Peu avant la guerre, 2,3 millions de femmes se déclarent ouvrières contre à peine 500 000 de plus en 1918. Si ce n’est pas négligeable, cela n’a rien d’un raz-de-marée. Il est en revanche exact qu’entre 1914 et 1918, les femmes occupent des emplois d’hommes, qui, avant la guerre, leur sont fermés : conductrices de tramways, factrices, professeures des lycées de garçons. Et ce ne sont que ces métiers-là que, la paix revenue, elles devront quitter. Il est donc bien plus juste de dire : les femmes sont arrivées sur le marché du travail pendant la Première guerre mondiale dans des métiers interdits.
Pour les années 1970, il en va de même : 6,6 millions de femmes sont actives en 1962, 7,1 en 1968, 8,1 en 1975 avec ensuite une progression au rythme d’un million d’actives supplémentaires tous les dix ans, pour totaliser 12 millions en 1999, pour 14 millions d’hommes. La visibilité est numérique mais aussi qualitative. Ce ne sont ni des ouvrières, ni même des fonctionnaires qui font grimper les chiffres de l’emploi féminin, mais d’autres types d’actives et en particulier des anciennes agricultrices – qui ont quitté une campagne où les recensements les ignoraient, reconverties en ouvrières et employées – et les femmes des milieux sociaux favorisés, autrefois inactives et désormais conquérantes. Pourquoi ? Tout simplement parce que les femmes sont enfin des citoyennes à part entière, nanties de leurs droits civiques, mais aussi civils, ceux de l’indépendance juridique face à leur conjoint et, surtout, ceux de l’égalité scolaire toute récente : alors, les femmes peuvent devenir ingénieures, cadres, médecins, avocates, juges en grand nombre. Au lieu donc de dire « depuis que les femmes travaillent », il est bien plus juste d’énoncer : depuis que les femmes travaillent avec des droits égaux à ceux des hommes. »
Ref. Sylvie Scweitzer, Les femmes ont toujours travaillé. Une histoire du travail des femmes au XIX et XXe siècles, Paris, Editions Odile Jacob, 2002, pp. 7-9.
Accompagnant l’exposition Femmes au travail en Seine Maritime présentée aux Archives départementales de Seine-Maritime, ce volume réunit les contributions d’archivistes et d’historiennes ou historiens de la société et du droit, venant d’universités françaises et américaines. Les recherches qui sont à l’origine du livre et de l’exposition résultent d’une collaboration fructueuse entre le Grand Réseau de recherche « Culture et société en Normandie » (région Haute-Normandie), les Archives départementales de Seine-Maritime et l’université de Rouen. Elles mettent en lumière des femmes actives qui furent des protagonistes de la vie sociale et économique de la région, depuis le Moyen-Âge et jusqu’à la première guerre mondiale, en dépit des limites que leur imposa la Coutume normande, l’une des plus restrictives de France en ce qui concerne les droits des femmes, jusqu’à la fin de l’Ancien Régime. En découvrant les documents et témoignages laissés par chacune d’entre elles, et sans occulter la fragilité des plus démunies, lectrices et lecteurs pourront s’émerveiller de « tout ce qu’elle saura et pourra faire »…
Lire
Françoise Battagliola, Histoire du travail des femmes, Paris, La Découverte, 2000.
Dominique Méda, Le Travail, Paris, Presse Universitaire de France, 2004.
Rose-Marie Lagrave : « Lorsque j’ai commencé l’enquête en 1984/85, il n’y avait pas à proprement parler, d’invisibilité des femmes en agriculture. Au contraire, on disposait d’une pléthore de discours saluant leur courage et leur travail pendant les deux guerres mondiales, mettant l’accent sur l’indispensable complémentarité du travail en couple et sur les femmes piliers de la famille rurale. Elles étaient visibles en raison de leur statut d’épouse, mais invisibles, en raison de l’absence d’un statut professionnel. Les mots pour le dire sont à cet égard éloquents : conjointe, collaboratrice, agricultrice, terme générique sans assise statutaire. » (Ref. Lagrave Rose-Marie, « Retour sur les « agricultrices » : des oubliées de la recherche et du féminisme », Travail, genre et sociétés, 1, 45, 2021, p. 31-38. )
Christian Nicourt, « Le lent dévoilement du travail des agricultrices », VertigO, 14, 1, 2014.
Des ressources historiques témoignent de ces modèles sociaux :
Aujourd’hui, l’assignation des femmes à ces modèles sociaux est encore visible au travers de certaines statistiques, 25 % des femmes en couple avec enfant consacrent quatre heures ou plus aux tâches domestiques, contre 10 % des hommes. Parmi les couples sans enfant, le constat est accentué. Les hommes participent moins aux tâches courantes : 3 % y consacrent quatre heures ou plus, contre 22 % des femmes . INSEE – 8 mars 2022 –
Modèles de rôles sociaux
Régnier-Loilier Arnaud, « L’arrivée d’un enfant modifie-t-elle la répartition des tâches domestiques au sein du couple ? », Population & Sociétés, 461, 10, 2009, p. 1-4.
Dominique Méda, Le temps des femmes ; pour un nouveau partage des rôles, Paris, Flammarion, 2008 :
Il y a presque dix ans, Dominique Méda faisait le constat suivant : les femmes françaises travaillent de plus en plus, mais les institutions, les mentalités ne se sont pas encore adaptées à cette nouvelle réalité sociale. Qu’en est-il aujourd’hui ? Le « temps des femmes » est-il enfin advenu ? Pour la sociologue, le constat est, hélas, préoccupant. Les inégalités professionnelles entre hommes et femmes ont cessé de se réduire, l’écart des salaires reste significatif (près de 25 %), le temps partiel – qu’il soit choisi ou subi – concerne majoritairement les femmes, lesquelles, par ailleurs, accèdent toujours aussi peu aux postes de responsabilité. Pourquoi cette piètre performance de la France ? Comment expliquer cette résistance à des changements que d’autres pays – nos voisins nordiques par exemple – ont menés avec succès ? Que faire pour relancer une dynamique qui paraît d’autant plus grippée qu’elle ne relève pas de « l’urgence » sociale ? Dominique Méda en appelle à une véritable révolution mentale : il faut inciter les hommes à s’impliquer davantage dans la prise en charge des enfants, déspécialiser les rôles – notamment pour les tâches ménagères –, et reconnaître que certaines activités, jugées peu productives comme tout ce qui touche au care, au soin d’autrui, sont une richesse pour notre pays. Cette révolution est à notre portée.
Transmission des modèles de rôles sociaux masculins et féminins
Les rôles sociaux masculins sont transmis aux garçons selon des modèles de la domination. Il s’agit de l’apprentissage de l’autorité, du commandement, du conflit, du combat et de la guerre. Sylvie Ayral, dans son livre La fabrique des garçons – Sanctions et genre au collège, montre comment se rebeller contre la discipline scolaire fonctionne comme un rite de passage pour les garçons. Défier l’ordre leur confère un statut de garçons courageux et être sanctionnés leur permet de s’affirmer en tant que meneurs et « vrais garçons ». La punition devient alors médaille et confirmation d’un statut de chef reconnu par les camarades, garçons et filles.
C’est ce que Christian Baudelot et Roger Establet nomment la culture du chef (de l’Agon) par opposition à la culture de l’intime qui caractérise les valeurs assignées au genre féminin.
Lire
Le compte rendu de Bernard Lahire : Christian Baudelot et Roger Establet, Allez les filles !, Annales 48, 4, 1993, pp. 1049-1051.