Quel rôle l’orientation scolaire joue-t-elle dans la reproduction des rôles sociaux de sexe ?
La sociologue Marie-Duru-Bellat dans son ouvrage, l’école des filles. Quelles formations pour quels rôles sociaux souligne les effets de l’éducation sur l’imaginaire des filles et leurs représentations du rôle social qu’elles devront remplir. Pour expliquer les renoncements des filles dans la compétition scolaire avec les garçons, notamment pour l’orientation vers les filières scientifiques, elle s’appuie sur « le complexe de cendrillon », notion développée par l’écrivaine Colette Dowling en 1982.
Le complexe de cendrillon (Colette Dowling, Le Complexe de Cendrillon, grasset, 1982, citée par Marie Duru-Bellat dans L’école des filles, l’Harmattan, 1985, p. 107).
• Les femmes sont invitées à investir la seule chose qui semble justifier l’existence, à savoir l’expérience amoureuse.
• Elles sont invitées à s’engager de manière totale dans une relation de dépendance, renonçant à toute existence autonome.
• Les femmes n’ont qu’à attendre qu’un homme vienne les séduire et du même coup oriente toute leur vie.
• La conséquence est lourde au moment de l’adolescence des jeunes filles. Le temps du collège exige d’elles des performances scolaires en « talons aiguille ».
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Quelles politiques publiques d’orientation égalitaire selon le genre ?
Françoise Vouillot est responsable du groupe de recherche OriGenre du laboratoire CRTD du CNAM-INETOP, membre du comité de pilotage de la Convention Interministérielle pour l’égalité filles-garçons dans le système éducatif (2013-2018), elle a participé à plusieurs missions ministérielles sur l’égalité entre les femmes et les hommes. Elle a publié : « Orientation scolaire et discriminations : quand les différences de sexe masquent les inégalités », La Documentation française, 2011 et « Les métiers ont-ils un sexe » (Egale à égal), « Laboratoire de l’égalité », Ed. Belin, 2014.
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Les enseignant.e.s imaginent et répètent souvent que les garçons « peuvent faire mieux » alors que les filles « font ce qu’elles peuvent ». Ces discours vont conduire les filles à avoir une moins bonne estime d’elles mêmes. En même temps, les filles souvent conscientes du système sexistes savent qu’elles doivent faire leurs preuves à l’école.
Les enseignant.e.s, ayant intériorisé les stéréotypes, croient bien souvent en la supériorité des garçons en mathématiques et celles des filles en lettres. Le corps enseignant va donc véhiculer ces stéréotypes et les transforment en « prophéties auto-réalisatrices ».
Des études montrent que les garçons bénéficient souvent d’une plus grande part d’attention de la part des enseignant.es (44 % des interactions se font avec les filles contre 56 % avec les garçons (Mosconi 2001). Cela véhicule l’idée que l’éducation des garçons est plus importante et conduira les femmes à, par exemple, privilégier la carrière de leur compagnon à la leur).
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On note aussi que les disciplines sont hiérarchisées et « sexuées ». Les domaines « masculins » sont plus valorisés, notamment les sciences formelles, expérimentales et techniques par opposition aux sciences sociales, moins valorisées et où les femmes sont plus nombreuses.
Quelle mixité à l’école ?
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Quelle ségrégation sexuée scolaire et professionnelle ?
Si les filles ont accédé aux différents degrés scolaires au même titre que les garçons dans les années 1970, l’orientation scolaire n’est pas neutre, ni égalitaire du point de vue du genre. Préfigurées par les éducations sexuées, les filières sont fréquentées par des publics masculins ou féminins avec très peu d’évolution au fil des ans.
Dans l’enseignement scolaire professionnel, la ségrégation sexuée en matière d’orientation est encore plus visible que dans l’enseignement général : en 2002, 30% des filles et 1% de garçons s’orientent vers le secteur secrétariat-bureautique, 1% des filles contre 24% des garçons s’orientent vers l’électricité-électronique.
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Quelques repères historiques
Jusqu’à la fin du 19ème siècle :
éducation réservée aux milieux privilégiés
éducation ayant pour objectif principal de former les adultes du futur, donc selon des rôles sexuellement différenciés (ex : dans L’Émile ou L’éducation (1792) de Rousseau)
l’éducation différenciée des femmes est un moyen de spécialiser les rôles sexués.
Argument de naturalisation
à partir de 1880 : un processus long d’égalisation des conditions d’éducation
Lois de Jules Ferry 1881-1882 : scolarisation massive des filles à l’école élémentaire.
Mais conservation de cet impératif d’éducation sexuellement différenciée.
1880 : Organisation de l’enseignement secondaire féminin (mais pas de baccalauréat) + programmes différenciés, qui préparent moins les filles à poursuivre leurs études.
1924 : unification des programmes du bac
1970 : le supérieur se féminise (quantitativement égalitaire avec les garçons = anecdote des amphis de Baudelot et Establet)
1975 : mixité dans les établissements
Clotilde Lemarchant, Unique en son genre, PUF, 2017.
Filles et garçons, rapport du Ministère de l’éducation nationale, 2022 :
De 1972 à 1985, la filière informatique était la deuxième filière comportant le plus de femmes ingénieures au sein des formations techniques
La part d’étudiantes commence à baisser à partir des années 80
- De 1972 à 1985, la filière informatique était la deuxième filière comportant le plus de femmes ingénieures au sein des formations techniques
- La part d’étudiantes commence à baisser à partir des années 80.
Dans la revue Les temps modernes, le numéro 358 de mai 1976 consacré aux petites filles en éducation, Geneviève Fraisse s’intéresse à la « petite fille, sa mère et son institutrice », titre du chapitre où elle propose une réflexion sur les femmes et l’école du XIXe siècle. Elle déroule le fil historique de la scolarisation des filles dont le pivot idéologique est que Toute fille sera mère et femme, l’éducation faisant fonction de dot et de devoir envers le foyer et non d’un droit pour l’émancipation : « Vous leur apprendrez… à se renfermer dans le ménage et à se glorifier de la royauté qu’elles doivent y exercer » (Abbé Hébert-Duperron, inspecteur d’académie, Conseils aux institutrices, 1865).
Quelle éducation et quelle orientation des filles ?
Des réflexions développées notamment dans les années 1970.
Dans la revue Les temps modernes, le numéro 358 de mai 1976 consacré aux petites filles en éducation, Geneviève Fraisse s’intéresse à la « petite fille, sa mère et son institutrice », titre du chapitre où elle propose une réflexion sur les femmes et l’école du XIXe siècle. Elle déroule le fil historique de la scolarisation des filles dont le pivot idéologique est que Toute fille sera mère et femme, l’éducation faisant fonction de dot et de devoir envers le foyer et non d’un droit pour l’émancipation : « Vous leur apprendrez… à se renfermer dans le ménage et à se glorifier de la royauté qu’elles doivent y exercer » (Abbé Hébert-Duperron, inspecteur d’académie, Conseils aux institutrices, 1865).
Claude Zaidman a décrypté les mécanismes de construction des identités au sein des interactions des élèves entre eux-elles, et avec les enseignant.e.s. Elle pointe l’aveuglement produit par la posture non interventionniste de ces derniers dans la reproduction des frontières de genre. Une pseudo neutralité qui bénéficie aux garçons.