Rares sont, en France, les études portant sur les violences sexuelles avant les années 2000. Cette rareté est le signe d’une difficulté d’appréhension. Pour illustration, les traumas et le fonctionnement de la douleur chez l’enfant ne sont reconnus qu’au cours des années 1980.

L’exception de cet état de fait est l’étude de Denis Szabo, publiée en 1958, sur « L’inceste en milieu urbain. Étude de la dissociation des structures familiales dans le département de la Seine (1937-1954) ». Le criminologue québécois revient sur les travaux anthropologiques relatifs à l’inceste et sa prohibition, puis s’intéresse à la recherche en psychologie, en sociologie et en criminologie sur cette question. Parmi les explications répandues, les auteurs des actes sont considérés comme des « dégénérés » (influence du positivisme lombrosien). Enfin, Denis Szabo analyse 96 dossiers d’inceste, jugés par la Cour d’assises de Paris, survenus entre 1937 et 1954 dans le département de la Seine. Il réalise un examen statistique sur les auteurs d’incestes (âge, lieux d’habitation, profession, état civil, antécédents judiciaires, éléments de personnalité), la mère de la victime (âge, profession, moralité et capacités parentales) et les victimes (âge, personnalité, développement mental, nombre de frères et sœurs, type et taille du logement). Denis Szabo analyse la nature des relations familiales qu’il construit grâce à un examen de cas. Il identifie différents types d’incestes et différents fonctionnements familiaux. Il conclut que : « l’inceste ne peut être localisé dans les seuls milieux socialement marginaux et moralement dépravés, qu’il n’est pas dû seulement à l’usage démesuré de l’alcool ou à l’exiguïté du logement ».

C’est la première étude qui indique que tous les milieux sociaux sont concernés par l’inceste et que les représentations sociales (idées stéréotypées – et souvent fausses – répandues dans la société) relatives à l’inceste ne correspondent pas à la réalité de ce phénomène.

Dans Un inceste ordinaire. Et pourtant tout le monde savait (2014), Léonore Le Caisne raconte comment une partie d’un village d’Ile-de-France a couvert des faits d’inceste commis par Monsieur G. sur sa fille (violée entre 8 et 28 ans). De ces viols incestueux, naitront six garçons. Malgré les fugues, le passage par le juge des enfants, personne n’a entendu les appels à l’aide de la victime.

Léonore Le Caisne identifie une distinction posée dans le village entre ceux qui savent (les anciens du villages) et ceux qui ne savent pas (les nouveaux habitants). Cette distinction est au cœur du déni. La banalisation, le déni, le mépris entre habitants s’inscrivent dans la vie du village dont l’inceste subi par la fille G. n’est qu’un événement ordinaire…

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