Annoncée en janvier 2020, la CIIVISE a été installée le 11 mars 2021 pour deux ans, et a vu son mandat prolongé le 8 décembre 2022 jusqu’au 31 décembre 2023. La CIIVISE se veut « héritière ou point de jonction des mouvements féministes et des associations de protection de l’enfance».

En France, la commission Sauvé a estimé que dans la population française, 5,5 millions de femmes et d’hommes ont été victimes de violences au cours de leur enfance.

Selon les enquêtes de victimisation, 160 000 enfants sont victimes de violences sexuelles chaque année, soit plus de 3 000 par semaine, « un enfant toutes les trois minutes ». Or, il y a moins de 90 000 plaintes pour des viols et des agressions sexuelles incestueuses sur mineurs chaque année. Par conséquent, seuls 12% des incestes font l’objet d’une plainte. 3% seulement des agresseurs font l’objet d’une condamnation.

La synthèse finale de la CIIVISE précise que 30 000 témoignages ont été recueillis, principalement par téléphone. Les témoignages nous apprennent notamment que :

  • Dans 81% des témoignages, les violences sont commises par un membre de la famille (tous les témoignages ne concernent pas des faits d’incestes) ;
  • Les victimes ont en moyenne 7 ans et demi au moment du premier passage à l’acte ;
  • 22% des victimes ont été abusées avant l’âge de 5 ans ;
  • Dans 86% des cas, les victimes ont subi plusieurs viols ou agressions sexuelles, pendant plusieurs années ;
  • Dans 97% des cas, l’agresseur est un homme. Dans 81% des cas, il est majeur ;
  • « La violence [des agresseurs] est toujours un choix » (p. 20) : L’agresseur utilise « toujours le même processus : il isole la victime, il la dévalorise, il inverse la culpabilité, il crée un climat de peur, il assure son impunité » ;
  • Lorsque les faits sont révélés, le plus souvent, l’enfant est cru mais n’est pas protégé ;
  • Les témoignages confirment que les conséquences psychologiques, les traumas ont des conséquences à long terme sur la vie des victimes.

La CIIVISE plaide pour un meilleur repérage des enfants victimes, l’amélioration du traitement judiciaire, la réparation incluant le soin et la prévention. Pour cela, elle a formulé 82 préconisations.

Concernant le repérage, la troisième préconisation propose de créer un RDV individuel annuel de dépistage et de prévention centré sur l’évaluation du bien-être de l’enfant.

L’amélioration du traitement judiciaire passe pour la CIIVISE par l’imprescriptibilité des infractions sexuelles sur mineur.e.s., ne plus poursuivre le parent protecteur (les mères le plus souvent) pour non-représentation d’enfant(s) lorsque des faits d’inceste sont dénoncés, la suspension du droit de visite et d’hébergement du parent accusé, le renforcement des mesures d’urgence que le juge peut prononcer en cas d’inceste vraisemblable, la reconnaissance du caractère incestueux des violences sexuelles lorsqu’elles sont commises par un.e cousin.ne.

Enfin, la prévention passe notamment par une inscription au FIJAISV (moyen en personnels adaptés), la formation des professionnels au respect de l’intimité corporelle de l’enfant, ou encore assurer la mise en œuvre effective à l’école des séances d’éducation à la vie sexuelle et affective et garantir un contenu d’information adapté au développement des enfants selon les stades d’âge.

L’importance de l’inceste en fait un vrai problème public.

Pourquoi y a-t-il eu une telle tolérance, du moins chez une partie des élites, envers ces crimes ?

1. La lente remise en cause de la place du père dans la société comme dans le droit qui conduit à une impunité des agresseurs ;
2. Celle-ci va de pair avec la valorisation du patriarcat ;
3. La dévalorisation historique de la parole et de l’histoire des femmes (citoyennes depuis 1944 seulement) ;
4. Les droits de l’enfant sont récents (1989) ;
5. La compréhension de la douleur chez l’enfant date des années 1980, la psychologie du trauma se développe depuis les années 1970.

Coût de l’inceste pour la société

Collage féministe

La Commission Indépendante sur l’Inceste et les Violences Sexuelles faites aux Enfants (CIIVISE) a évalué le coût du déni :

« Le coût du déni, c’est que ce que nous coûtent les agresseurs chaque année. C’est le coût de leur impunité, des conséquences à long terme des violences sexuelles pour les victimes et de notre passivité. Le coût du déni, c’est 9,7 milliards d’euros chaque année ».

« La CIIVISE préconise la mise en place et le financement d’un parcours de soins spécialisés en psychotraumatisme de 20 à 33 séances réparties sur une année et renouvelables selon les besoins des victimes. Elle préconise également que l’intégralité du coût du parcours de soins spécialisés du psychotraumatisme, incluant les soins somatiques, psychologiques/psychiatriques et psycho-corporels soit pris en charge par la Solidarité nationale».

La CIIVISE : bilan de son président

Dans cette synthèse d’une trentaine de pages qui prend le parti de faire comprendre les violences et leurs conséquences à long terme, le magistrat Édouard Durand pointe le paradoxe entre les chiffres (issus des enquêtes de victimisation) et le discours relatif au mensonge ou à la manipulation face aux déclarations des enfants, des victimes, la complexité des affaires. Ce discours empêche de croire et de protéger les enfants. Il renforce le déni. Ainsi, l’expression « Ça ne doit pas exister » signifie-t-elle que les incestes sont inadmissibles ou que « ça ne doit pas être su » (p. 15). Ce discours de décrédibilisation et le déni bénéficient aux auteurs de violences : 3% de condamnation des auteurs de violence sexuelle.

Ce déni a à la fois un coût humain, un coût social et un coût économique.

Les victimes ont honte, se sentent coupables. Les victimes ont peur : de ne pas être crues, de détruire la famille.

Lors de la première révélation, la première réaction est la sidération (c’est inconcevable, rappelons-nous, insupportable-même). L’adulte peut soit lui aussi entrer dans le déni, soit protéger l’enfant. Dans ce deuxième cas, l’adulte protecteur, souvent la mère, se voit accuser de manipuler ou d’aliéner son enfant (le syndrome d’aliénation parentale n’est pas reconnu par la science, les juges français et européens doivent l’écarter).

Le déni est « ancien, massif, structurant » (p. 23). Il est un des facteurs d’impunité des auteurs de violences sexuelles. L’impunité a plusieurs explications : le déni, la peur de l’agresseur, le pouvoir et ceux qui le possèdent, les « gardiens du temple » qui disent que ce sont les victimes qui menacent le vivre ensemble (p. 25), l’invocation de la présomption d’innocence au détriment de la protection de l’enfant.

Édouard Durand souligne encore le paradoxe entre le fait que les victimes sont invitées à « sortir du silence » tout en dénigrant leur parole dans l’espace public.

Pour terminer, le magistrat interroge la notion de « vérité judicaire » face à la difficulté d’obtenir des preuves dans les affaires de violences sexuelles, en particulier quand il n’y a qu’une parole contre une autre. (Concernant les VSS, les preuves ADN des agressions et violences disparaissent en quelques heures, ce qui explique la difficulté de prouver).

La parole des victimes, renouvelée périodiquement, le nombre de témoignages ne diminuera pas tant que la société n’aura pas changé, tant que les enfants ne seront pas protégés.