Quel est le rôle de l’éducation des jeunes générations ?

Camille Besse, dessinatrice et autrice, album « Ni Dieu, Nichons ! »,
Les Iconovores – Critères éditions, 2016. p. 44.

L’éducation sexuée prépare les jeunes générations à se réapproprier les modèles sociaux de genre. Toute une série de jeux fortement sexués tend à développer très tôt chez les filles une culture tournée vers l’espace intime du foyer et le soin aux autres, à l’opposé des modèles guerriers adressés aux garçons et tournés vers la conquête du monde extérieur les préparant à la compétition scolaire et professionnelle. Pourtant, les femmes ont combattu dans l’histoire et ont compté de nombreuses héroïnes.

Pourquoi l’éducation est-elle si importante pour l’égalité entre les humains ?

L’éducation sexuée remplit une fonction sociale cruciale dans la transmission des modèles de rôles de genre.

Le livre d’Elena Gianini Beloti Du côté des petites filles paru en 1973 a largement contribué à la critique de l’éducation féminine. L’influence des conditionnements sociaux sur la formation et le rôle féminin dans la petite enfance est très nette : après 3 ans, « les enfants ont déjà appris à demander le « bon » jouet, car ils savent que le « mauvais » leur sera refusé » (p. 120 – Editions des femmes). Elle préconise donc l’intervention des adultes, parents, enseignant-es, pour soutenir chez les enfants la subversion dans les choix de jouets, un geste éducatif accompagné d’une explication affirmant qu’il n’y a pas de loi de genre partageant l’univers des jouets.
« Toutes les petites filles restent au fond des rebelles impuissantes, contraintes à calculer à chaque moment s’il vaut mieux se livrer à la rébellion ou se soumettre à la dépendance ». (p. 137. Eds. des femmes, 1973)

Pour aller plus loin

Quelles réflexions sur l’éducation des filles trouve-t-on dans l’oeuvre de Leïla Sebbar ?

Leila Sebbar a dirigé un numéro spécial de la revue Les Temps Modernes consacré à l’éducation des petites filles (N° 358, 1976) – Fonds de l’IMEC et de diverses bibliothèques. Parmi les autrices beaucoup vont participer à la future revue Histoires d’elles.

L’ensemble des textes réunis interroge la manière dont on éduque les petites filles et dénonce l’idéologie moralisante et culpabilisante qui vise à limiter les potentialités féminines.

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Dans les archives de Leila Sebbar (IMEC)

Extraits du Texte d’Evelyne LeGarrec « De fil en aiguille et de mères en filles » sur les manières d’éduquer les filles par rapport aux garçons.

 

« Je ne voulais pas qu’elle pense qu’il [son frère Mathieu] avait un sexe et pas elle. Donc on a beaucoup plus parlé dans la famille du zizi d’Irène que de celui de Mathieu. […] Elle a toujours eu l’impression d’avoir un sexe aussi visible que celui de son frère. Mais j’attends toujours de mon fils qu’il fasse quelque chose d’exceptionnel. Je lui dis toujours : tu pourras être balayeur, ça m’est égal. Mais ce n’est pas vrai, en réalité je serais désespérée. Tandis que je n’attends pas ça de ma fille. Au contraire, je serais angoissée si elle devait faire quelque chose d’exceptionnel. Au fond, je trouve qu’une femme, c’est fait pour faire la cuisine, s’occuper des enfants, planter des fleurs, être là, être disponible, écouter, chanter, écrire. » p.1920

Dans les archives de Leila Sebbar (IMEC)

Extraits du texte de  Martine M. « les petites filles de l’Etat » publié dans les temps modernes n°358 (1976) p. 1937.

« Apprendre c’est le lot des femmes. Apprendre la vie c’est apprendre à préserver son corps dans l’interdit et dans l’abstinence, prendre des responsabilités pour soi et pour ceux qui n’en ont pas besoin. Les garçons eux courent toujours». p. 1939

« Une des conséquences les plus directes du silence fait sur le sexe féminin et surtout de sa signification par l’absence, c’est le sentiment précoce chez la fille d’une infériorité « naturelle » liée à son sexe. Le fait que la différence ne soit jamais signifiée en termes positifs : « lui a ça, visible d’accord, et toi tu as cela et c’est fait comme ça » mais toujours en terme négatifs : un qui a, l’autre qui n’a pas, imprime à la différence des sexes une allure d’opposition, donc de hiérarchie où le supérieur est celui qui a, l’inférieur celle qui n’a pas. « Tu n’en a pas mais tu es son égale » aboutit sans hésitation au désir d’être comme». p. 1940

Dans les archives de Leila Sebbar (IMEC)

Extraits du texte de Martine M. « les petites filles de l’Etat » publié dans les Temps modernes n°358 (1976) p. 1937.

«Contrairement à ce à quoi l’on pouvait s’attendre, les modèles sexués véhiculés par le consensus social, sont tout autant imposés mais sans l’implication affective qui fait que dans une famille les enfants sont désirés être ce que Papa/Maman voudraient qu’on soit. Le « désir » que la nourrice projette sur le devenir de la fille du placement est intimement lié à leur réalité sociale à toutes deux : tu es une fille donc tu seras une femme. Et femme, ma fille, ce n’est pas drôle. Apprends à te taire dès aujourd’hui car demain ta vie ce sera une maison à tenir, des enfants à élever, un mari à vénérer et des fins de mois difficiles avec lesquelles il faudra t’arranger, toi, la fée du logis, aujourd’hui poussine dans une couvée de canards, va s’arranger avec un projet peu réjouissant. Dans le meilleur des cas (si on peut dire) elle fera comme sa nourrice : une bonne mère. Dans le pire, elle fera comme sa mère et mettra au monde une nouvelle génération d’enfants assistés. Car le premier prince qui passera par là, ouvrira les bras et dira : tu es belle, la recevra prête à tout. Car femme tu ne l’es que par rapport à l’homme qui te dit « tu es (l’image de) la femme de ma vie». p. 1942

Dans les archives de Leila Sebbar (IMEC)

« L’éducation de la petite fille dans les fictions, c’est surtout l’intériorisation d’un ordre social organisé, hiérarchisé, comme ordre naturel. Reconnaissance, donc, d’un univers codifié, normatif. Une petite fille doit savoir quelle est sa place de future femme, mère, épouse… Et n’avoir pas même l’idée de la quitter. Rester à sa place, dans sa caste, dans sa classe… Apprendre la soumission à des modèles culturels reconnus et valorisés… La petite fille n’est plus une petite fille, elle est devenue la représentation, le symbole d’une normalité sociale et culturelle, exemplaire, indispensable au bon fonctionnement de la machine sociale ».

Extrait d’un document préparatoire pour un numéro de revue sur l’éducation des petites filles (boîte SBR 60 IMEC).

Dans les archives personnelles de Leïla Sebbar (IMEC), l’enquête menée auprès de Simone Penot livre le temps de l’enfance à la campagne et la formation du goût pour les fleurs cueillies sur le chemin de l’école. La décoration, l’esthétique des bouquets de fleurs qu’elle reproduira adulte dans sa vie de commerçante à Paris désignent des traits attendus de la féminité. Le récit des fêtes familiales organisées autour d’événements religieux comme les communions insiste sur l’attention portée au décor et aux couleurs. « On fait une très belle corbeille de fruits. Les fleurs, je choisis dans les pastels : rose, bleu, mauve. » « Si on fait un menu, la carte sera différente pour un garçon et pour une fille. J’ai fait des communions fille, garçon. On mettra moins de rose pour un bouquet garçon. On restera dans des bleus, mauves, blancs aussi et plus dans les roses pour les filles. »

Longtemps, l’enseignement ménager est en bonne place dans les programmes scolaires réservés aux filles. Au sein de la couture, la broderie est une activité typique de l’activité féminine, à la fois de loisir raffiné et utile à la maison. Simone Pénot trouve ses modèles dans ses journaux La broderie Lyonnaise, qu’elle trouve chez les libraires dépositaires (Archives de Leïla Sebbar. IMEC)

Pour aller plus loin

Dans la revue Sorcières

Les cadeaux sont également de bons indicateurs des codes sociaux de genre. Ainsi Simone Pénot relate-t-elle les fleurs, les foulards, la vaisselle ou le parfum qui lui sont offerts. L’art de la table lui tient à cœur à travers le choix de la vaisselle autant que le soin mis à la confection de bouquets. Tout cela dénote un univers défini comme féminin.