Quel rôle jouent les modèles de femmes scientifiques dans les rapports de pouvoir et le progrès démocratique ?

Les représentations sont importantes pour que les petites filles, et donc plus tard les femmes, puissent se projeter dans des carrières scientifiques (où les femmes sont minoritaires). L’orientation scolaire et universitaire témoigne encore aujourd’hui de son caractère sexué, mettant à mal une participation égale à la production de connaissances utiles et légitimes pour l’avenir techno-scientifique de sociétés réellement démocratiques.

Les modèles présentés aux jeunes soulèvent de nombreuses interrogations. Ainsi, Marie Curie est une figure sur-représentée parmi les femmes scientifiques (omniprésente dans la littérature jeunesse). Or c’est un exemple de modèle auquel il peut être difficile de s’identifier tant cette femme est montrée comme exceptionnelle. Là où les hommes ont toutes sortes de modèles, les femmes n’ont que des modèles extraordinaires. Le message qui est envoyé aux filles est celui d’un parcours inatteignable avec comme effet l’exhortation au renoncement : « je ne suis pas extraordinaire, ce n’est pas fait pour moi ».

Exemple de représentation des femmes qui ont marqué l’histoire, ici un livre de poupées de papier reprenant les costumes des femmes célèbres qui sont ici encore réduites à leurs toilettes minorant ainsi leur visibilisation. (Great Women Paper Dolls, Bellerophon Books Collectible, San Francisco, 1974 trouvé dans les archives de LS SBR 68).

Si des femmes ont pu échapper aux injonctions sociales et contribuer aux progrès dans un domaine défini arbitrairement comme masculin, le cas d’Ada Lovelace illustre comment l’histoire des sciences a pu invisibiliser l’apport scientifique d’une mathématicienne au développement de l’informatique. Ce n’est que récemment que ses recherches bénéficient d’une véritable reconnaissance.

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Femmes et savoirs, podcasts produit par l’ENS.

Catherine Dufour, Ada ou la beauté des nombres, Fayard.

Ada Lovelace

  • Née en 1815 à Londres du poète George Gordon Byron et de son épouse Annabella Milbanke (surnomée : « Princesse des parallélogrammes »)
  • En 1833, elle rencontre Charles Babbage, l’inventeur de la machine analytique de Babbage (ancêtre de l’ordinateur)
  • En 1842, Ada traduit un article consacré aux machines à calculer. Traduction qu’elle augmente de notes, elle y décrit l’enchaînement d’instructions qu’il faut donner pour réaliser une suite mathématique. Elle prévoit que la machine pourrait manipuler des lettres et des symboles. C’est la première programmation.
  • Elle meurt en 1852
  • En son honneur est créé en 1980 le langage ADA

Des avancées récentes en termes de représentations de femmes scientifiques rectifient leur invisibilisation dogmatique dans ces domaines, grâce notamment à une historiographie nouvelle, les archives livrant une image plus proche de la réalité de leur rôle.

Les recherches d’Isabelle Collet démontrent cependant la persistance des stéréotypes sexués réservant le domaine de l’informatique aux hommes. Là encore l’orientation scolaire et universitaire affiche des chiffres qui n’évoluent pas en France contrairement à d’autres pays.

Entre reproduction des stéréotypes sexués et production d’un ordre social respectant la diversité contre un système de genre discriminant, la dynamique des sociétés est complexe.

Focus

Sur le Rapport mondial sur la science, Radhika Ramasubban, « La place des femmes dans la science : le cas de l’Inde », 1996. p. 354-355.

Voir Sophia Huyer, « Vers une diminution des disparités hommes-femmes dans la science et l’ingénierie ? », in Rapport de l’UNESCO sur la science, chapitre 3. P. 85-103.

« La parité entre les sexes parmi les chercheurs reste un objectif difficile à atteindre

En ce qui concerne leur participation au secteur de la recherche en général, les femmes sont confrontées au syndrome du « tuyau percé ». Elles représentent une part importante des étudiants de premier et second cycle universitaire, et sont même plus nombreuses que les hommes puisqu’elles représentent 53 % des diplômés. Pourtant, leur nombre chute brutalement en doctorat : le nombre d’hommes (57 %) dépasse soudainement le nombre de femmes (figure 3.1). L’écart se creuse davantage au sein de la population de chercheurs, composée majoritairement d’hommes (72 %). Le pourcentage élevé de femmes dans l’enseignement supérieur ne se traduit donc pas nécessairement par une présence plus importante de ces dernières dans le secteur de la recherche.

Figure issue du rapport de l’Unesco sur la science, p.86

Bien que les femmes représentent seulement 28 %, des chercheurs dans le monde, selon les données disponibles, ce chiffre dissimule d’importants écarts aux niveaux national et régional (figure 3.2)*. Par exemple, les femmes sont très représentées en Europe du Sud-Est (49 %) ainsi qu’en Amérique latine, en Asie centrale et dans les Caraïbes (44 %). Un tiers des chercheurs sont des chercheuses dans les États arabes (37 %), dans l’Union européenne (33 %) et dans l’Association européenne de libre-échange (34 %), suivis de près par l’Afrique subsaharienne (30 %).

Dans de nombreuses régions, la parité entre les sexes (45-55 % de chercheuses) est un héritage de l’ancien bloc soviétique, qui s’étendait de l’Asie centrale et des pays baltes à l’Europe de l’Est et du Sud-Est, et dont faisait partie un tiers des États membres actuels de l’Union européenne (UE). Ces 10 dernières années, plusieurs pays d’Europe du Sud-Est ont réussi à restaurer dans le secteur de la recherche le niveau de parité qu’ils avaient perdu dans les années 1990, après l’éclatement de l’ex-Yougoslavie : la Croatie, l’ex-République yougoslave de Macédoine, le Monténégro et la Serbie (voir tableau 10.4).

Figure issue du rapport de l’Unesco sur la science, p.88

Dans certains pays à revenu élevé, la proportion de chercheuses est étonnamment faible. Par exemple, en Allemagne, en France et aux Pays-Bas, à peine un chercheur sur quatre est une femme. Les pourcentages sont encore plus bas en République de Corée (18 %) et au Japon (15 %). Malgré les efforts du gouvernement en vue d’améliorer ce ratio (voir chapitre 24), le Japon demeure l’État membre

de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) où la proportion de chercheuses est la moins élevée.

La parité entre les sexes souvent atteinte en Asie du Sud-Est

Figure issue du rapport de l’Unesco sur la science, p.89

La situation est totalement différente en Asie du Sud-Est, où les femmes sont sur un pied d’égalité avec les hommes dans certains pays : elles représentent par exemple 52 % des chercheurs aux Philippines et en Thaïlande.

D’autres pays sont proches de la parité, notamment la Malaisie et le Viet Nam, mais l’Indonésie et Singapour affichent toujours un pourcentage d’environ 30 %. Le Cambodge accuse un certain retard par rapport à ses voisins (20 %). Les chercheuses de la région sont réparties assez équitablement entre les différents secteurs, à l’exception du secteur privé, où elles représentent 30 % des chercheurs ou moins dans la plupart des pays.

* Figure 3.2

Pour aller plus loin

Analyser les représentations de genre dans ces publicités, à votre avis comment celles ci peuvent-elles influencer les choix des filles et des garçons ? Quelles conséquences sur leurs orientations professionnelles ?

Publicité Apple 1977
Publicité Texas instruments début 1980
Publicité Gameboy 1991

Ou encore

Film : les figures de l’ombre (2016) qui retrace l’histoire de trois « calculatrices » afro-américaines : Katherine Johnson, Dorothy Vaughan et Mary Jackson qui ont contribué aux programmes aéronautiques et spatiaux de la NASA à la fin des années 60 (disponible sur Disney+)

Suivre par exemple, les vidéos courtes de Manon Bril, vulgarisatrice en histoire sur ses réseaux sociaux « c’est une autre histoire » :