Comment les modèles de rôles sociaux de genre impliquent-ils des standards de beauté ?
Les corps biologiques sont soumis à des codes de beauté distingués en fonction du groupe de genre. Les attendus physiques ne sont pas les mêmes selon que l’on a été assigné.e homme ou femme. Ces attendus varient selon les époques et les cultures. Pour y répondre et donc être considéré comme « beaux » par leurs pairs, les individus vont être soumis à tout un tas de normes, d‘injonctions, explicites ou implicites qui vont souvent contraindre leurs pratiques et se refléter sur leur apparence physique.
Vidéo montrant les différents standards de beauté au travers des époques
Les corps sont soumis à tout un travail de l’apparence selon des pratiques différenciées : les soins du corps, la consommation de vêtements et de bijoux sont plus fréquents chez les femmes (Michèle Pagès-Delon, Le corps et ses apparences. L’envers du look, Paris, L’Harmattan, 1989). Dès l’enfance, les filles pratiquent plus d’activités sportives développant l’apparence du corps comme la gymnastique, le patinage artistique, la natation synchronisée, ou la danse (Annick Davisse, « Filles et garçons dans les activités physiques et sportives : de grands changements et de fortes permanences », in Filles-garçons. Socialisation différenciée ?, Anne Dafflon-Novelle (dir.), Fontaine, Presses Universitaires de Grenoble, 2006).
Le sujet de l’apparence et de la beauté concerne d’abord les femmes comme le relève l’historienne Ilana Löwy : « La femme stéréotypée est belle et préoccupée de son apparence. Les hommes qui exhibent un degré comparable de préoccupation pour leur apparence sont considérés comme « bizarres » » (Ilana Löwy, L’emprise du genre, Paris, La Dispute, 2007, p. 94).
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Pour en savoir plus sur la féminisation du corps des filles et la masculinisation du corps des garçons : Martine Court, Corps de filles, corps de garçons : une construction sociale, Paris, La Dispute, 2010.
Dans les archives personnelles de Leïla Sebbar (IMEC), l’enquête menée auprès de Simone Pénot donne à voir la vie quotidienne dans les années 1980 et le rapport au corps très instrumental de cette femme aux origines paysannes et « montée » à Paris pour y ouvrir une boutique d’alimentation. Le moment de la toilette est « le seul moment où j’ai le corps libre » dit-elle tout en insistant sur ses goûts simples qui affichent fièrement des valeurs de sobriété et d’efficacité pour une féminité de travailleuse entièrement vouée au labeur. Des standards de beauté toutefois soumis à certaines normes comme la gaine, la robe, les bas, la chemise de nuit…
Simone Pénot raconte à Leïla Sebbar les détails du linge personnel de la jeune fille. Le port du corset est un incontournable à l’époque de son enfance dans les années 40-50. Pour sa part elle a dû en porter un à lacets dès l’âge de 5-6 ans et témoigne combien cela était contraignant et combien cela l’étouffait. Cet accessoire féminin serrait le ventre pour atteindre les canons de la silhouette féminine idéale focalisée sur « une taille de guêpe » et un ventre plat.
Le corps des femmes aujourd’hui
En opposition à ces normes sociales contraignant les corps des femmes un mouvement nommé « Body Positive », né dans les années 90 aux Etats-Unis, défend la diversité des corps et a pour but de lutter contre les standards de beauté. En effet ses créatrices Connie Sobczak et Elizabeth Scott fondent en 1996 l’association « The Body Positive » avec l’objectif d’aider les personnes à avoir une image corporelle positive et à se défaire des injonctions, notamment celle de la minceur. Au fil du temps et surtout par l’intermédiaire des réseaux sociaux ce mouvement s’est développé, devenant même un argument marketing.
Fin 2022 on observe un basculement et le retour des corps très minces, une tendance nommée « héroin chic » en référence aux mannequins des années 90 dont les corps portaient souvent les stigmates de la consommation de drogue.
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Kim Kardashian Theory, documentaire de Guillaume Erner, journaliste et sociologue, et Meredith Jones, professeure d’études de genre à l’Université Brunel de Londres, coréalisé avec Nesrine Slaoui (France, 2023, 53mn) – Sur une idée de Myriam Weil. Disponible jusqu’au 26/11/2026 sur Arte.tv
Un exemple de ces normes véhiculées est donné par Kim Kardashian (d’abord en 2018 puis en 2023), star de télé-réalité et entrepreneuse américaine qui incarne ces standards et possède sa propre marque de gaines. Le cas de Kim Kardashian a été étudié en tant que fait social illustrant l’émergence d’une nouvelle figure de l’économie capitaliste, celle des influenceuses exerçant leur activité sur les réseaux sociaux.
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Anthony Vicent, « Comment la mode se lasse du body-positive et revient à la maigreur heroin chic », [en ligne] Madmoizelle.com, 2024.
Audrey Millet, Les dessous du maillot de bain, une autre histoire du corps, Paris, les Pérégrines (essais), 2022.
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Jean-François Amadieu : « L’apparence physique fait partie des motifs de discrimination en France »
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Jean-François Amadieu, Le poids des apparences, Odile Jacob (poches), 2005 (1ère ed. 2002).
Oumaya Hidri Neys :
• Thèse de doctorat « L’apparence physique, à travailler pour travailler ». L’exemple de la primo-insertion professionnelle des cadres commerciaux, soutenue le 14 décembre 2005 à l’Université de Paris-Sud 11.
• Habilitation à diriger des recherches : L’insoutenable poids des apparences physiques. Contribution à une sociologie des discriminations, soutenue le 8 décembre 2016 à l’Université d’Artois.
• Oumaya Hidri Neys, Yamina Meziani-Remichi, « Privé versus Public » : Le poids des apparences dans le recrutement du personnel d’accueil. Nouvelle Revue du travail, 2015, 7.
• Oumaya Hidri Neys, « Le jeu des apparences : piège ou profit ? Enquête auprès des hôtesses d’accueil et de caisse de la distribution sportive », Travail et emploi, 134, 2, 2013, pp. 75-89.
• Oumaya Hidri Neys, « Le « physique de l’emploi » », Communications, 89, 2, 2011, pp. 117-132.
• Oumaya Hidri, « Faire du sport pour décrocher un emploi ». La place des loisirs sportifs dans l’insertion professionnelle des étudiants français, Loisir et Société, 30, 2, 2008, pp. 361-383.
Alimentation, Sport, Fitness et Réseaux Sociaux
Les normes corporelles continuent de contraindre les filles pouvant les conduire jusqu’à des troubles du comportement alimentaire (TCA) voire à des anorexies (Muriel Darmon, 2003).
Les programmes de recherche ALIMFIT et ALINUM pilotés par Pascale Ezan de l’université du Havre, décrivent à travers des biographies de jeunes filles comment l’éducation féministe peut servir de levier critique contre les effets les plus dangereux des modes alimentaires diffusées sur les réseaux sociaux.
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Articles de presse, dans Le Monde :
Anne Chirol, « La « fitgirl », cette déesse olympique des salles de sport », [en ligne] Le Monde, 15 novembre 2023.
Adélaïde Tenaglia, « Ces jeunes obsédés par la musculation : « S’il faut choisir entre les devoirs et aller à la salle, je préfère m’entraîner » », [en ligne] Le Monde, 10 mai 2023.
Quel rôle les réseaux sociaux jouent-ils aujourd’hui dans la diffusion des standards de la beauté féminine ?
L’essor des réseaux sociaux accélère la diffusion des normes, notamment de beauté, généralisant le modèle occidental dominant. Partout dans le monde se déploie le même modèle « cheveux lisses, yeux non bridés, tailles minces, jambes longues ». Afin d’y correspondre, les individus n’hésitent pas à avoir recours à la chirurgie ou la médecine esthétique. Se développent aussi des techniques de maquillage. Par exemple les « kits de débridage », utilisés par les asiatiques pour donner une forme plus ronde à leurs yeux.
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Monde contemporain : les modèles de rôles sociaux se donnent à voir dans tout l’espace public dans lequel baignent les enfants, et proposent des images sexistes, en dépit des contestations des organisations féministes. La publicité en est un des vecteurs principaux, mais aussi les affiches de films ou encore les mises en scène dans les salons automobiles ou les manifestations sportives comme par exemple les pom-pom girls aux États-Unis.
Exemples récents de campagne de publicité stéréotypées
L’attention à l’esthétique déborde le seul soin du corps et englobe le goût pour les objets et décors. Les femmes ont d’ailleurs souvent la charge de la décoration de la maison ou encore du choix des cadeaux à offrir pour la parentèle ou les ami.e.s.
Les cadeaux sont ainsi de bons indicateurs des codes sociaux de genre. À titre illustratif, dans l’enquête de Leïla Sebbar menée auprès de Simone Pénot, celle-ci relate les fleurs, les foulards, la vaisselle ou le parfum qui lui sont offerts. L’art de la table lui tient à cœur à travers le choix de la vaisselle autant que le soin mis à la confection de bouquets. Tout cela dénote un univers féminin défini comme tel.