Relire la « Révolution scientifique » au prisme du genre

Francis Bacon – Novum Organum

En 1980, l’historienne états-unienne Carolyn Merchant propose une analyse historique des origines du double mouvement de soumission des femmes et de la nature dans The Death of Nature : Women, Ecology and the Scientific Revolution. Selon elle, la « Révolution scientifique » du XVIIe siècle constitue un point de bascule dans le rapport des sociétés occidentales à la nature et aux femmes. En effet, l’image positive et respectée de la terre comme mère nourricière recule au profit du modèle mécaniste, exhortant à la maîtrise, la domination et, au besoin, au viol de cette terre. Cette mutation est explicite chez le philosophe et savant anglais Francis Bacon. Dans son Novum Organum, il écrit en 1620 :

« Par l’art et la main de l’homme, [la nature peut être] contrainte hors de son état naturel et être pressée ou modelée. »

Tandis que la soumission de la nature aux besoins des hommes est légitimée, les savoirs vernaculaires des femmes sont délégitimés. L’historienne le montre à l’aide de deux études de cas. Les procès pour sorcellerie du XVIe siècle stigmatisent ces femmes indépendantes, généralement issues des couches populaires, veuves ou célibataires donc dépourvues de protection masculine, qui bénéficiaient jusque-là d’une reconnaissance sociale forte dans les campagnes médiévales. En effet leur connaissance des plantes et leur maîtrise des savoirs en médecine naturelle les faisaient appeler pour soigner les villageois.es et accoucher les parturientes. Cela cesse avec l’affirmation du corps médical masculin et l’imposition de la science médicale sur ces savoirs traditionnels. Le même mécanisme est à l’œuvre au XVIIe siècle avec l’évincement des sages-femmes par les chirurgiens masculins.

“La sorcière”, huile sur toile de Jean-François Portaels Vilvorde, 1818 © Getty - Fine Art Images/Heritage Images
“Vieille femme filant (sorcière ou fée)”, gravure de Hans Holbein le Jeune, en 1547. © Getty - Ann Ronan Pictures/Print Collector
Procès en sorcellerie : une femme accusée de sorcellerie s’en remet à Satan pour la sauver (1692) © Getty - MPI