Des écoféminismes

Jeanne Bugart Goutal insiste sur la pluralité des courants écoféministes et la difficulté à discipliner un état des lieux. Toutefois, deux grandes familles se détachent. D’un côté, l’écoféminisme matérialiste établit une corrélation entre la domination des pays du Nord sur les Suds et celle des hommes sur les femmes. Il pointe dans la mondialisation la dégradation des conditions de subsistance des populations et la dégradation de la vie et du travail des femmes ; il cherche à revaloriser les savoir-faire féminins locaux et hérités. De l’autre, l’écoféminisme spiritualiste ouvre la voie à des célébrations néopaïennes des rythmes de la nature et du corps.

Vandana Shiva

Vandana Shiva

Vandana Shiva, née en 1952, est une scientifique indienne, formée en physique et docteure en philosophie des sciences. Deux événements forgent sa militance. Dans sa jeunesse, elle participe au mouvement Chipko aux côtés de sa mère, agricultrice par choix. Puis en 1987, alors qu’elle assiste à une conférence sur la fabrication et le brevetage des semences hybrides et des OGM à Megève, elle prend conscience du processus « d’appropriation totale du vivant » par les technosciences[1].

En 1991, elle fonde l’association Navdanya (« neuf semences » ou « nouvelles semences » en hindi) qui lutte pour préserver les semences paysannes de la mainmise des multinationales agroindustrielles sur ce patrimoine et, par voie de conséquence, pour protéger le mode de vie traditionnel de la petite paysannerie des effets de la mondialisation.

En 1993 Vandana Shiva et la sociologue allemande Maria Mies publient Ecofeminism, traduit en français en 1998. Elles y dénoncent les politiques de la « Révolution verte » aussi nocives pour les femmes que pour la nature. Dans les pas du Printemps silencieux de Rachel Carson (1962), elles dénoncent les effets mortels des produits phytosanitaires sur les sols agricoles et présentent les méthodes agrobiologiques comme une alternative souhaitable non seulement pour la biodiversité mais aussi pour les équilibres sociaux. Leur essai, inscrit dans le courant altermondialiste de cette époque, dénonce la précarisation des paysannes et l’augmentation des violences faites aux femmes dans les Suds globalisés.

Tandis que l’ONG de Vandana Shiva gagne en influence, structure des manifestations citoyennes et des actions en justice, soutient la création de 127 banques de semences partout en Inde, la nomination de la militante au prix Nobel alternatif de la paix en 1993 achève la reconnaissance internationale de l’écoféministe.

[1] Burgart Goutal, Être écoféministe… p 208

Starhawk

Starhawk est une militante et écrivaine états-unienne née en 1951. À la fin des années 1970, elle participe au mouvement antinucléaire de l’Alliance Abalone, mobilisé contre le projet de centrale Diablo Canyon. Elle y découvre tout un répertoire d’actions militantes, composé de chants, de danses, de rituels néo-païens et d’action non-violentes qu’elle déclinera dans les décennies suivantes dans des réunions de sorcières ou dans le réseau Reclaiming qu’elle fondera.

En 1982, elle publie l’essai Dreaming the Dark : Magic, Sex and Politics où elle montre que les rapports sociaux dans lesquels les femmes sont engagées les placent en première ligne des violences, du militarisme, des pollutions, des impérialismes. Pour renverser cette domination, elle invite les femmes à inventer  un « genre différent de pouvoir : le pouvoir qui vient de l’intérieur de nous-mêmes ; notre capacité d’oser, de faire et de rêver ; notre créativité »[1]. Pour activer ce pouvoir immanent, déclencher cet empowerment, elles doivent apprendre à reconnecter leur corps, leur esprit et la nature en faisant appel à l’imaginaire du paganisme antique et de la sorcellerie médiévale.

Sa mobilisation se poursuit à la fin des années 1990 dans les manifestations altermondialistes, en particulier lors du blocage non-violent de la réunion de l’Organisation mondiale du commerce à Seattle en 1999[2].

[1] Starhawk, Quel monde voulons-nous ?, Paris, Cambourakis, 2019 [Webs of Power. Notes from the Global Uprising, Gabriola Island, New Society Publishers, 2002], p. 12.

[2] Starhawk, Chroniques altermondialistes. Tisser la toile du soulèvement global, Paris, Cambourakis, 2016.